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La servante écarlate – un diariste dystopique

J’ai découvert la servante écarlate, tout d’abord en regardant la série (The Handmaid’s Tale). Et puis, cet été je me suis enfin décidée à lire le roman de Margaret Artwood. Publié en 1985, la servante écarlate est une dystopie sur la république de Gilead, une dictature religieuse établie aux États-Unis.

La république de Gilead

Dans ce monde, l’environnement est complètement dévasté entrainant une chute drastique du taux de fertilité. Un groupe de religieux totalitaires a organisé un coup d’état pour s’emparer du gouvernement et instaurer la République de Gilead. Dans cette nouvelle société, les femmes ont perdu tous leurs droits et sont réparties en plusieurs castes.

Tout d’abord, le régime contraint toutes les femmes fertiles à porter le rouge et devenir ainsi des servantes écarlates dont l’objectif est de concevoir des enfants pour les hauts dignitaires du régime. Les femmes plus âgées deviennent quant à elle des Marthas, des domestiques au service des commandants et de leur femme. Il y a également les éconofemmes qui épousent les hommes pauvres et enfin les tantes qui s’occupent des servantes. Le régime juge tous les autres membres de la gente féminine qui ne peuvent intégrer la République de Gilead (veuves, lesbiennes, nonnes catholiques, etc.) comme des ennemis d’État, et les expédie dans les colonies afin de ramasser des déchets toxiques.

La servante écarlate

La servante écarlate – l’histoire de Jude

Maintenant que je vous ai dépeint le décor, passons à l’héroïne. On suit précisément l’histoire de Defred, une servante au service d’un haut commandeur et de sa femme Serena Joy. Cette jeune trentenaire nous décrit son quotidien dans une grande demeure bourgeoise située dans le Massachusetts. Tous les jours, elle sort avec son binôme Deglen pour faire les commissions. Régulièrement, elles passent devant le mur pour découvrir les nouveaux traitres pendus. Chaque fois, Defred angoisse à l’idée de reconnaitre son mari qu’elle a perdu de vue quelques années auparavant. Car avant Gilead, Defred s’appelait June, elle avait un époux et une fille, et elle exerçait un métier.

« Notre fonction est la reproduction ; nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des courtisanes. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n’est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets, nulle faveur particulière ne doit être extorquée par des cajoleries, ni de part ni d’autre ; l’amour ne doit trouver aucun prise. Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c’est tout : vases sacrés, calices ambulants. »

La République de Gilead interdit toutes relations amoureuses et marques d’affections. L’acte sexuel n’est plus un acte d’amour mais un rituel pour préserver le genre humain. Une fois par mois, Defred doit participer à une cérémonie de conception bien glauque : la tête posée sur les genoux de Serena, Defred subit un coït froid et déshumanisé par le commandeur. Ce rituel s’inspire du livre de la Genèse « Et Saraï dit à Abram, voici, l’Eternel m’a rendue stérile; viens, je te prie, vers ma servante; peut-être aurai-je par elle des enfants. »

La servante écarlate

 

Une république patriarcale

Si les hommes gouvernent Gilead, la République en reste pas moins une société très féminine. Certes les femmes ont perdu toutes libertés : elles n’ont plus de compte bancaires, elles ne peuvent plus travailler, ni lire, ni se divertir. Pourtant cette société est organisée autour d’elles et de manière à les protéger. Par exemple le régime interdit strictement la pornographie et la prostitution qui souillent les femmes. Les anges, un groupe d’hommes armés, protègent les hauts fonctionnaires mais surtout les femmes. De plus, le régime attribue aux hommes tous les maux de la société : la violence, la destruction écologique, l’avilissement de la femme. Ils ne doivent ni regarder, ni toucher, ni parler à un membre de la gente féminine. Lorsqu’un homme commet un viol, il est condamné à mort par lapidation.

« Les hommes sont des machines à copuler, disait Tante Lydia, et pas grand-chose de plus. Vous devez apprendre à les manipuler, pour votre propre bien. À les mener par le bout du nez : c’est une métaphore. C’est la voix de la nature. C’est le dessein de Dieu. »

La servante écarlate

Un style d’écriture original

Si on s’en tient au résumé, on peut s’attendre à lire une histoire clichée. Une pauvre jeune fille qui se bat contre un système qu’elle répudie, celui de vilains religieux totalitaires ayant pour seul objectif de nous déshumaniser, faire de nous leur esclave pour leur propre profit. Cela sonne étrangement familier ? Pourtant, en lisant la servante écarlate, la plume de Margaret Artwood m’a agréablement surprise. Ce rythme repris fidèlement dans la série, donne au final beaucoup de caractère à l’œuvre.

Ce style dénote clairement de celui que l’on retrouve habituellement dans les romans de science fiction bien souvent narratif et littéraire. Ici, la servante écarlate s’approche du journal intime. En effet, Defred nous confie ses quelques années d’existence au cœur de la République de Gilead. Mais régulièrement elle rebondit sur des instants de sa vie passée avant le régime ou au moment où tout a basculé.

« Je ne m’appelle pas Defred, j’ai un autre nom, dont personne ne se sert maintenant parce que c’est interdit. Je me dis que ça n’a pas d’importance, un prénom, c’est comme son propre numéro de téléphone, cela ne sert qu’aux autres. Mais ce que je me dis est faux, cela a de l’importance. Je garde le savoir de ce nom comme quelque chose de caché, un trésor que je reviendrai déterrer, un jour. Je pense à ce nom comme à quelque chose qui serait enfoui. Ce nom a une aura, comme une amulette, un talisman qui a survécu à un passé si lointain qu’on ne peut l’imaginer. Je suis allongée dans mon lit à une place la nuit, les yeux fermés, et ce nom flotte derrière mes paupières, légèrement hors d’atteinte, resplendissant dans le noir. »

Vous avez dit un livre féministe ?

La plupart des gens retiennent chez Defred uniquement son côté résistant. Pourtant, j’ai pour ma part noté chez elle cette facilité déconcertante à s’adapter aux nouvelles conditions de vie, même quand ces dernières lui sont imposées et vont visiblement à l’encontre de ses propres idées et valeurs.

Bien entendu, la République de Gilead bouleverse June. Et elle regrette le temps où elle était libre d’être avec son mari, de s’occuper de sa fille, de se vêtir comme bon lui semblait, etc. Toutefois, elle retrouve rapidement une routine dans cette nouvelle société. D’ailleurs, elle n’essaie même pas de combattre ce système tant détesté. Par exemple, lorsque Deglen lui propose d’espionner pour la résistance, à aucun moment Defred ne s’implique.

En définitive, cela donne plus d’authenticité au personnage principal. Nous pouvons nous identifier plus facilement à elle. Car oui, il faut reconnaître que nous ne sommes pas tous des Robins des bois, ni des Jean Moulins, ni des Gandhis. Tout le monde n’a pas le courage de risquer sa vie pour défendre ses idées ou sa liberté. Sinon, le monde serait certainement bien différent…

« Je me disais, je me suis organisée une vie, ici, qui est ce qu’elle est.
C’est probablement ce que pensaient les femmes des colons, et les femmes qui avaient survécu aux guerres, quand elles avaient encore un homme.
L’humanité est tellement adaptable, disait ma mère. C’est vraiment renversant de voir à quoi les gens peuvent s’habituer, pourvu qu’ils aient quelques compensations. »

La servante écarlate

Roman dystopique pas si cliché mais loin d’être réaliste…

J’ai trouvé ce livre agréable et intéressant à lire, même si on aimerait en découvrir davantage, notamment voir comment évoluent les rapports entre Defred et Serena. Mais la série TV permet de développer davantage les personnages. Et d’ailleurs, la saison 2 de la servante écarlate est bien meilleure à mon sens, puisqu’elle s’affranchit de nombreux stéréotypes.

Honnêtement, ce type d’histoire relève selon moi du fantasme. À l’inverse de beaucoup de personnes, je ne crois pas du tout que ce futur soit possible dans notre société occidentale. Alors certes il y a des sectes, groupes, minorités religieuses qui ont des croyances et pratiques qui se rapprochent de Gilead. Mais cela reste de l’anecdotique.

Qu’avez-vous pensé de la servante écarlate ? Préférez-vous le livre ou la série ? À votre avis, Gilead est elle plausible ou, comme moi, vous pensez que c’est impossible dans notre pays ?

 

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