Livres & BD

Derniers jours d’un monde oublié

Derniers jours d’un monde oublié, c’est mon dernier coup de cœur en littérature fantasy. Là encore sur les conseils de mon libraire – le même qui m’avait suggéré Trilogie d’une nuit d’hiver – je me suis lancée dans la lecture de ce premier roman de l’autrice française Chris Vuklisevic. Derniers jours d’un monde oublié a été publié chez SF Folio après avoir remporté le concours du premier roman d’imaginaire. Et on peut dire qu’il est murement mérité !

Le livre raconte les derniers instants d’un monde sur le point de sombrer, suite à l’arrivée d’un bateau pirate sur ses côtes. Roman choral, l’histoire suit donc trois personnages qui essaient de survivre à ce changement. Femmes et homme vont se révéler prêts à tout pour essayer de préserver leurs secrets et leurs acquis.

L’île de Sheltel, un monde fantastique et rude

Il y a trois siècles un puissant cataclysme a ravagé le monde. L’île de Sheltel en est la seule rescapée. Du moins c’est ce que croient ses habitants. Jusqu’au jour où la Main, une sorcière qui a pour rôle de donner la vie et de la reprendre aperçoit au large les voiles d’un navire pirate. L’équilibre maintenu depuis toutes ces années est alors menacé.

Le matin où les étrangers arrivèrent sur l’île, la Main de Sheltel fut la première à les voir. Elle revêtir son masque quand, par la fenêtre, elle aperçut un point sombre à l’horizon. Un mirage, crut-elle ; un tremblement de la chaleur sur l’eau. La mer était vide, bien sûr. Rien ne venait jamais de l’océan. Elle ne lança pas l’alerte.

Chris Vuklisevic, Derniers jours d’un monde oublié, p. 13

Car en effet, vivre coupés du reste du monde pendant trois cents ans a permis aux Sheltes de créer un système stable mais aux règles strictes. Un monde où cohabitent deux ethnies les Dusties et les Ashims. Le Natif est le roi régnant sur l’île, il joue un rôle de protecteur. Il est par exemple le seul à pouvoir puiser l’eau de la rivière, s’assurant ainsi que tous les habitants de Sheltel reçoivent équitablement leur part d’eau.

Outre la sécheresse, l’autre danger de l’île est la consanguinité. Pour réguler sa population, la Main et ses 5 phalanges ont pour but de contrôler les naissances et les décès.

Afin de maintenir une cohésion entre les citoyens et garantir la sécurité de tous, les habitants ont pour devoir de mettre à contribution leurs aptitudes notamment magiques, au service de l’île. Le juge des talents est là pour évaluer les capacités de chacun. Et il a le droit d’interner toutes personnes qu’il juge dangereuses pour la communauté.

Derniers jours d’un monde oublié

On suit les Derniers jours d’un monde oublié – et plus précisément les 12 derniers – à travers le point de vue de trois personnages. Tout d’abord il y a Erika, jeune pirate et fille adoptive de la capitaine du navire. Cette dernière l’a élevée comme un chien de combat. Erika passe donc son temps à se battre et à tuer sur le pont du navire. Arrivée à Sheltel, la jeune fille va tout mettre en œuvre pour se faire une place dans ce nouveau monde. Elle espère pouvoir vivre une vie calme loin de la violence. Mais pourtant comme lors de ses batailles, elle va user des pires coups pour survivre.

Chaque fois qu’elle tuait pour l’amusement de la capitaine, Erika revoyait les combats de chiens qui attiraient les badauds dans les ports. Les bêtes étaient affamées jusqu’à la folie. Elles s’entredéchiraient pour divertir les spectateurs et enrichir leurs maîtres. Quand la mort arrivait enfin, le soulagement se lisait dans leurs prunelles.

Chris Vuklisevic, Derniers jours d’un monde oublié, p. 73

Nawomi est plus connue sous le nom de la Main. Considérée par certains comme étant une sorcière, elle a un rôle de régulateur de population. Depuis ses premières années, sa mère lui a enseigné durement ce métier. C’est-à-dire l’art d’aspirer ou d’insuffler la vie tout en tenant à jour tous les arbres généalogiques de l’île. Puis, lorsqu’elle a été en âge d’exercer ce rôle essentiel sur Sheltel, elle a pris la place de sa mère. Nawomi a donc revêtu la robe et le masque noires emblématiques de la Main. Ce costume lui permet également de cacher les lourds secrets qu’elle porte sur le corps.

Nawomi avait déjà trop repoussé le moment d’aller sur le rivage cueillir les fleurs sauvages de prystine dont elle avait besoin pour son onguent ; il ne lui en restait presque plus. Elle extrayait aussi de ces fleurs rares une essence qui apaisait l’esprit et le corps quand la douleur était trop forte, et en donnait à sa mère lorsqu’elle n’arrivait pas à dormir ou délirait à l’excès.

Chris Vuklisevic, Derniers jours d’un monde oublié, p. 139

Avide de pouvoir et de richesse Arthur Pozar voit en l’arrivée de ces étrangers un nouveau moyen d’augmenter son immense fortune. Riche marchant, conseiller de la Bénie, juge des talents et directeur de l’école des feutiers… Arthur est prêt à tout pour maintenir son influence sur Sheltel usant même des méthodes les plus cruelles.

Nous avons des siècles d’avance sur eux. Nous avons conservé toute notre histoire, notre savoir-faire. Eux sont repartis de zéro il y a plus de trois cents ans. Et avant cela, déjà, ils ne savaient que nous imiter. Si l’on en croit Fellon l’enflammée, cette boule qui brille n’est qu’un vulgaire dérivé de ce que nous faisons déjà. Une potentialité que nous avons toujours eue sous les mains sans la déceler. Qui d’entre vous veut voir son portrait aux côtés de la Fonderie et de la Braise sur le mur ?

Chris Vuklisevic, Derniers jours d’un monde oublié, p. 171

Chris Vuklisevic, la Robin Hobb française ?

BRILLANT ! Je dirais même plus BRILLANTISSIME.

En 400 pages, Chris Vuklisevic a réussi à dépeindre un monde éloquent, détaillé et imaginatif dans lequel on plonge immédiatement dès les premières pages. Bien développés les personnages possèdent chacun leur propre personnalité. Du début à la fin, on prend un réel plaisir à suivre les aventures de chacun d’entre eux. De plus, l’autrice glisse entre chaque chapitre une note ou un article apportant des éléments plus détaillés sur Sheltel. Ainsi on peut en apprendre davantage sur cette curieuse île.

Derniers jours d’un monde oublié est un roman accessible et intelligent qui aborde diverses questions : identitaire, politique mais aussi sur le pouvoir et nos liens maternels… le tout avec une grande maturité. Chris ne traite pas l’arrivée des pirates de manière cliché. En effet, on ne va pas assister à des scènes de rixes ou autres violences. Mais c’est réellement le fait même de leur présence sur Sheltel qui va perturber la stabilité de l’île et redistribuer les cartes.

Enfin, même si Chris Vuklisevic ne se déclare pas la fille spirituelle de Robin Hobb, je trouve que son style s’en approche beaucoup. Tout comme l’écrivain américain, la petite sudiste parvient avec talent à nous présenter un monde fantastique où la magie est enracinée et partie intégrante tout en donnant une part réelle totalement crédible à son récit.

Donc si vous aimez la fantasy, Robin Hobb ou Georges R. R. Martin je ne peux que vous conseiller de lire Derniers jours d’un monde oublié, premier roman d’un écrivain à suivre avec intérêt.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *